Cavale hivernale
Il nous avait rancardé dans cette ancienne filature de la vallée d’Aure. Nous, on avait tous rappliqué sans piper. Il n’était pas d’usage de discuter ce genre de rendez-vous, ni quoi que soit d’autre d’ailleurs. A notre arrivée, la lumière jaune des ampoules à vapeur de sodium avait déjà envahie les ruelles du village. Adossée au massif de l’Arbizon, la bâtisse de 4 étages était à quelques encablures du bourg. Suffisamment éloignée des curieux pour être à l’abri des regards et assez grande pour accueillir tout le gang. Comme un artefact prêt à veiller sur nous, une vierge marquait l’entrée du chemin. À côté, le ruisseau est bruyant. Il étouffera sûrement les sombres ressauts de cette rencontre au sommet.
Nous sommes les premiers à arriver sur place. Avec moi, Sylvain dit "les petites mains", façon godzilla jouant à Docteur Maboul sur une stalactite de glace ; Thomas, dit le Saint, qui n’avait rien d’un Saint quand on lui mettait deux piques à glace dans les mains ; Lionel "le chirurgien", et je préfère ne pas vous expliquer pourquoi, ce ne serait pas beau à voir.
La petite dernière, c’est Agathe. Elle avait rejoint le groupe tardivement. On ne connaissait rien de son pedigree mais on savait que c’était une fille aux bonnes manières en matière d’encordement et plutôt discrète sur le reverso. Ce n’était sûrement pas par hasard si elle avait choisi de nous rejoindre, ou pas ?!
A l’intérieur, c’est la trêve, pas d’armes !
Piolets, crampons, broches, skis et bâtons télescopiques ne sont pas admis à l’intérieur. Seul le triptyque DVA, pelle, sonde est obligatoire ; question de sécurité. Savoir s’en servir aussi. Il faut toucher juste dès le premier planté.
Le reste de la bande est arrivé par petits groupes. Mais ce n’était pas le même genre. Plutôt à ranger du côté des gros consommateurs de poudre. De la blanche 5 étoiles, des gobelets ou de la particule reconnaissable : ça, c’était leur truc. Des mecs habitués à prendre de gros pourcentages dans les descentes les plus sinistres et passablement doués pour remonter la pente. Des types prêt à vous briser les tibias ???? la malléole à coup de coque trop serrée.
Notre came à nous, c’était la bleue, l’opaque ou la translucide, en sorbet ou aérée. Certes, le milieu est plus raide, il faut faire sa place devant, prendre la tête des opérations avec sang froid. Pourtant ici, les pourcentages s’envolent, les butins dévalent ; 70°, 80° voir 85°, souvent plus dans les faces à faces les plus renversants. Il faut être bien armé et là dessus, on connaissait notre longueur d’avance. Quarks, Nomics, Naja, Lynx ou M14, on avait dans le coffre les armes les plus affûtés. Quelques pitons et des coinceurs mécaniques à jeter par dessus les barricades venaient compléter l’arsenal.
Les skis bien à l’abri, le gang s’ambiance. Les souvenirs des opérations les plus alpines reviennent, les rires montent. Nicolas nous présente sa prochaine cible. Un raid sur les Dômes de la Vanoise. Quatre ou cinq jour à égorger du dénivelé. Cédric quant à lui fait chauffer les fourneaux pour faire parler un rougaïl-saucisse aveyronais un peu récalcitrant.
Un vent glacial avait devancé le dernier virage du Kangoo. Brutalement, la porte s’est ouverte en laissant rentrer tous les vents catabatiques du grand nord. Les gouttes de sueur qui perlaient sur les tempes se sont figées en grains ronds et les larmes de rires, transformées en free-standing en touchant le sol. Les larges sourires aux dents blanches comme neige sont devenus des rictus déversants quand il a foulé le pas de la porte.
El tesorero està aqui
Il avait brasser pour en arriver là, une vie de se faire respecter, glisser coûte que coûte, ne jamais transiger, ne jamais céder. Il pouvait descendre six pieds sous terre, mais à condition de remonter au jumar. Une légende pyrénéenne raconte qu’une plaque à vent l’aurait fait reculer. Depuis, la plaque a disparue de la circulation. Coïncidence ? Je ne crois pas.
Aujourd’hui son empire s’étend des Pyrénées jusqu’au sommet du Plomb en passant par le plus profond des gouffres du Queyras.
A l’aune de cet vie de fugitif, ce vieux mafioski ira finir sa vie de malfrat dans une planque sur les flancs d’une vallée Lourdaise. Mais, aujourd’hui il il n’est pas encore prêt à passer la main. Demain, il sera toujours prêt à faire la peau au premier ski qui le regardera de travers.
Avec un coup de froid pareil, la grande cascade de La Dorada s’annonçe être en condition et avec elle notre objectif, un contrat sur la tête du couloir en X.
Sous sa mine patibulaire de 450 m, c’est un coup facile pour une équipe bien rodée comme la nôtre. Le grand chef savait très bien qu’il n’avait pas affaire à des débutants. Le stade de l’initiation était largement dépassé pour toutes et tous. Le schéma est simple : on s’embusque dans les premières longueurs et on le dégèle au croisement des deux lignes. Une organisation bien calée ; une équipe de deux porte-flingues en ouverture et une cordée de trois "en flèche" en couverture. C’est bon, on gèle le plan !
On a profité de la nuit pour faire une approche furtive ; 20 mn nous ont suffi pour être en place à l’attaque de la voie.
Après 3 longueurs entre sorbet de schiste et salade d’épinards, une belle petite goulotte nous mène au pied du panneau central.
Le crux du X est là, devant nous. Il nous suffirait d’un tir pour en finir, pourtant, d’un coup d’un seul, on comprend très vite que la tâche sera rude. Droit dans ses bottes, le vaurien nous prend de haut. On n’était pas vraiment armé pour rivaliser avec du gros calibre ; 30 m de glace à 85°, aucun passage précédent, une glace lisse et vierge, pas le moindre accroc au costume.
C’est exactement à ce moment que le chirurgien lâche un "Là ! Y’a chantier ! Ça va être corsé. "
Soudain, comme neige au soleil, notre contrat prend la fuite. Il nous glisse entre les doigts. Le topo annonçait un grade 3+ et "Gravir le panneau central par 2 longueurs à 70/75". L’auteur doit être d’une autre époque, celle où la glace dégeulait du haut du mur pour former un large cône en pied d’éléphant. Aujourd’hui, la période de disette glacière imposée par le réchauffement vient durcir les cotations en glace. Du bas, j’ai un 4+ en ligne de mire, mais se sera un grade 5 ressenti sur une glace lavabo à vous fossiliser les mollets.
On n’aurait pas dû sous-estimer notre cible mais on garde la tête haute. On sort le plan B : "Tous ensemble pour un seul homme".
Je fais le plein de munitions, Sylvain me confie ses broches et Thomas fait le fond de ses poches pour avoir un maximum de chance de faire un carton. J’organise mon baudrier histoire de ne manquer de rien pour faire mouche à chaque shoot.
Dans une bagarre, il faut savoir envoyer la première baffe, le premier coup de piolet dans la face. Les beignes et les châtaignes s’enchaînent, la glace éclate sous les hématomes en distribuant ses piles d’assiettes sur le reste de l’équipe. Sylvain est juste derrière moi, il assure ma progression sur chaque point. La glace est dure, les balles perdues pleuvent. Tellement compacte que je peux voir Agathe et Lionel entre mes pointes avant. Seuls les tueurs à gage alpinistes comprendront.
Le bombé s’amorce enfin, mais il reste encore 10 m devant moi. Plus que trois balles dont deux pour le relais. Dernière protection avant une ultime salve pour en finir de ce corps à corps glacé.
Sylvain enchaîne sur les mêmes protections, Thomas démontera l’artillerie avec soin alors que Lionel finira par le cribler de balles. Agathe, l’écrocheuse, finira le boulot en transformant cette longueur en passoire.
En toute arrogance, il continue à nous toiser depuis le haut de la deuxième longueur. Cette succession de ressauts verticaux de 2 à 4 mètres ne se laissera pas abattre d’un simple coup de piolet, si nomic soit-il ; 60 m nous sépare de la selle. C’est le replat qui marque la fin du panneau central.
Le reste est une large pente de neige profonde à 60°. Une course poursuite entre nous et la sortie du couloir commence. Une cavale hivernale avec la lune aux trousses. Il faut enchaîner les manips de corde plus rapidement, recharger à chaque relais.
On est revenu sur le plan A. Sylvain et Thomas devant et la cordée en flèche aux fesses. Quatre longueurs bien physiques et un ressaut mixte en 3+ (un vrai) à la poursuite de notre prime pour enfin sortir sur l’épaule du Pic de Garlitz.
Le contrat est rempli, le repli se fera de nuit. Thomas et Sylvain ouvre la trace vers le rappel de sortie ; 60 m de descente pour atteindre le Riou Nère et retrouver notre chauffeur.
20h35, on quitte le parking en ne laissant aucune trace de notre passage. Seul le corps gisant du couloir en X restera visible jusqu’à la fin de la saison.
À la filature, l’accueil est solennel. Tonnerre d’applaudissements pour un carton plein dans une si belle ligne. Les mines sont à nouveau réjouies du travail accompli. C’est par une accolade sincère que le vieux mafioski remerciera ses disciples.
Une pièce de moins sur l’échiquier, désormais, il n’aura plus à se soucier du X.
Après le coup de maître de la veille, quand la réussite est totale, c’est le moment de passer du bon temps avec les frangins.ines au stand de tir. De dézinguer des cannettes à coup de 12 au fond de la carrière. On s’enfonce dans le canyon de Bataillence. Quelques promeneurs équipés de crampons prennent discrètement la fuite par le haut. On est seul. Lionel et Thomas repartent pour quelques longueurs en tête sur des contrats plus faciles. Après le beau boulot de la veille, Agathe se décide à trucider une longueur en second. De mon côté, je peaufine la technique "Monia DEVILLE" d’escalade de glace en solo assuré. C’est l’empilage d’un reverso, ou équivalent, monté en mode "relais" et d’une poulie au buste pour favoriser la circulation de la corde. On grimpe sur un ou deux brins. Cependant cela impose un aller-retour supplémentaire à chaque longueur. Un style clandestin pour approcher seul les plus grandes faces alpines.
Sylvain bosse ses rappels longues distance en préparation de son prochain stage de moniteur fédéral. Il va tous les tuer !
Week-end ski / alpi à Ancizan, 4 & 5 février 2023
Les cinq tueurs à gage sont: Agathe, Lionel, Sylvain, Thomas, et Loran, chef de gang
J1 le couloir en X, Bielsa Nord, 400 m, TD III 3+ (à réviser en grade 4+)
J2 canyon de Bataillence, Bielsa Nord, D-, II 3, 40 m